
Plutôt des signes négatifs que pas de signes du tout
Les signes de reconnaissance sont tellement essentiels et vitaux pour un être humain que si celui-ci, du fait de son histoire, n’a pas pu ou su les obtenir, il ira alors jusqu’à risquer de faire ce qu’il faut pour recevoir a minima des signes de reconnaissance négatifs.
Ainsi un enfant qui se sent délaissé, rejeté, mis de côté, parfois de manière tout à fait inconsciente, se débrouillera pour susciter au moins une réaction agressive voire violente chez un parent, pour être sûr que même de cette manière pourtant très préjudiciable pour lui, on fait quand même attention à lui.
Dans un groupe, avoir la place du souffre-douleur est extrêmement pénible. Mais toujours plus enviable que pas de place du tout.
Reconnaissance et politique
Comme l’avait bien compris Hegel : « La conscience de soi ne parvient à la satisfaction que dans une autre conscience de soi. » Il illustre son propos par la dialectique maître/esclave. Pas de maître, pas de conscience d’être esclave. Pas d’esclave, pas de conscience d’être maître. |
Axel Honneth philosophe et sociologue allemand, auteur de « La société du mépris »
Partant de Hegel, il voit les conflits sociaux, les révoltes populaires sous l’angle d’une demande de reconnaissance « des obscurs et des sans grades ». Un besoin d’être reconnu comme détenteurs d’une dignité, pleinement humains.
Dans nos sociétés de grands réseaux sociaux et simultanément de grande solitude, environ 20% de la population (souvent les plus pauvres y compris dans la jeunesse) se sent isolée. La digitalisation/numérisation à marche forcée, le reflux des services publics dans les campagnes et le périurbain et le sentiment blessant de ne pas compter pour grand-chose augmentent l’insécurité sociale et morale.
Sous cet angle de vue, on peut analyser la période des « gilets jaunes » comme une forte demande à la fois de justice et de reconnaissance sociale pour sortir du statut de citoyen de second rang, périphérique, avec une exigence démocratique élémentaire : la reconnaissance de la valeur de chaque individu dans une société solidaire tout à l’inverse de la « foule solitaire », décrite par le sociologue du travail David Riesman.
Les périls politiques de la non reconnaissance par déni manipulatoire
Le terme anglo-saxon « gaslighting », sans équivalent en français, désigne une manipulation mentale qui peut aller de pair avec la non reconnaissance, produisant alors des effets désastreux : si vous ne reconnaissez pas sur une période prolongée les perceptions de la réalité, les pensées, et les souvenirs d’une personne ou d’une population, en les remettant en cause constamment, vous vous exposez à leur réaction furieuse quand elles en prennent conscience.
Durant la désastreuse thérapie de choc du passage à l’économie de marché des années 90, les souffrances des habitants des pays de l’ancien bloc de l’Est ont été niées, discréditées par les dirigeants occidentaux et les économistes idéologues du marché libre.
Or ces habitants d’Europe de l’Est ont traversé pendant 10 ans le pire effondrement économique en Europe depuis la crise des années 30. Pour redoubler leur peine, on leur a répété que cette grande dépression post-communiste, qui a eu des conséquences sociales comparables à celles d’une guerre, n’avait pas eu lieu, que c’était un mythe. La frustration, l’humiliation et le ressentiment engendrés par une telle attitude et la désillusion face aux promesses non tenues du libre marché et de la démocratie libérale ont ouvert un boulevard pour les promesses démagogiques et l’aspiration des peuples à un pouvoir très autoritaire.
La forte montée du parti d’extrême droite allemande AfD nous démontre une fois de plus que susciter pendant des années des « passions tristes » dans une population et facteur aggravant, ne pas le reconnaître, ne peut engendrer à terme que de l’extrémisme et de la monstruosité politique.

A bientôt pour la suite (et fin) !