
L’arrivée en force des nouvelles technologies et du tout numérique nous fait
gagner du temps et de l’énergie, c’est certain.
Mais une société hyper technologique centrée sur les flux d’informations en continu favorise aussi la méconnaissance voire la peur de l’autre et le repli sur soi.
Au travail, la perte du sens de nos actions et de l’éprouvé du vivre ensemble a un coût. Car oui, tout se paye et le prix à payer est collectivement élevé : absentéismes, dépressions et burn-out.
Crise ou chance à saisir ?
La crise sanitaire de 2019 nous a tous contraints à imaginer des manières de travailler différentes, depuis chez soi, dans notre salon, la tête dans notre écran d’ordinateur avec pour collègues un alignement de petits carrés zoom, à des cieux de distance de nous…Le distan-ciel était né !
Et puis, ce mouvement s’est accéléré après la crise de la Covid.
On a constaté une explosion du télétravail et des visio conférences comme si le « à distance » les uns des autres tendait à devenir la règle.
Gain de temps, gain d’argent.
J’ai comme tout le monde tenté l’expérience des séances en visio avec les
équipes. Autant dire que le résultat a été le plus souvent frustrant et sans réels effets transformateurs. Le seul avantage pour les équipes que j’accompagnais, qui travaillaient « en présentiel » avec des personnes fragilisées, était de maintenir un lien pour éviter le sentiment d’abandon qui a pu s’installer à cette période. Dans cette situation exceptionnelle, reconnaissons-le, le distan-ciel était mieux que rien. Seulement l’exceptionnel a fini par devenir habituel.
Petit à petit, on en a oublié l’importance des collectifs de travail. Vous savez,
ces espaces où les équipes se retrouvent pour penser leur travail, échanger
leurs points de vue.
On les appelle communément réunions d’équipe, groupes projets, réunions de synthèse… Ces réunions, où l’on imagine ensemble une organisation ad hoc pour favoriser le travail d’équipe et en équipe ne coûtent rien à part un peu de son temps.
Mais dans notre société, le temps, c’est de l’argent.
Pourtant le « retour sur investissement » des collectifs de travail pour les
équipes et les directions n’a pas de prix.
Les commanditaires et les équipes accompagnées me disent : « Chez nous il y a de gros problèmes de communication », « Les services sont cloisonnés et ne se rencontrent pas », « Il y a un besoin de mutualiser les pratiques et les
compétences », « Cela deux mois que l’on n’a pas eu de réunion d’équipe »,
« On est parfois obligés de se débrouiller seuls car notre chef de service est sur deux sites différents », etc.
Quand la situation devient trop tendue, je suis sollicitée pour mener des
analyses des pratiques professionnelles (APP). La solution, a priori
miraculeuse, pour dénouer les tensions et calmer les esprits.
Quid de la démocratie en entreprise ?
Mais quand il n’y a pas d’autre espace collectif d’expression de la souffrance et de la plainte, les APP sont contre productives. Pourquoi ?
Parce qu’elles ne peuvent pas se substituer aux réunions d’équipes ou de
synthèse, ou autre réunion de groupes projets.
Parce que je pense que le travail se pense à plusieurs, et avec tous les niveaux hiérarchiques réunis ensemble.
Les collectifs de travail où les professionnels réfléchissent ensemble et pensent leur travail, confrontent leurs points de vue, expriment leurs accords et désaccords sont aussi les lieux où les personnes éprouvent la démocratie dans toute sa complexité.
Le vivre ensemble, le travailler ensemble ne peut pas s’éprouver uniquement derrière des écrans d’ordinateur ou en zoom.
Ensemble dans un même espace, ce sont nos corps qui respirent, nos regards qui échangent, nos voix qui s’expriment et que l’on écoute. Tous nos sens sont en éveil.
Pourquoi les espaces démocratiques qui incitent à la controverse se font- ils
de plus en plus rares dans les institutions et les entreprises ?
Pour plusieurs raisons sans doute, j’en imagine au moins deux :
- C’est une perte de temps. Là où l’urgence nous incite à faire vite et plus
souvent seul, puisque « seul on va plus vite ». Le vite fait bien fait restant très discutable. - Créer des espaces de liberté d’expression et de décisions partagées pourrait devenir dangereux pour certains dirigeants car comme on le dit dans l’Armée : « réfléchir, c’est commencer à désobéir ».
La démocratie se fait rare au sein des institutions et des entreprises.
Le démocratie, issu du grec Dêmos : peuple, Dáomai : distribuer et Kratos : le pouvoir, permet aux citoyens de participer aux décisions qui les concernent. On l’a vue se manifester, aux deux sens du terme, dans la rue lors de la récente réforme des retraites refusée par 70% de la population, toutes générations et profil sociologiques confondus.
A cette occasion, nous avons éprouvé le plaisir d’être ensemble, de débattre et d’échanger. Nous avons ressenti ce sentiment de faire partie d’un tout qui
transcende les individus et peut transformer la société.
Restaurer la confiance grâce aux collectifs
On voit bien que lorsque les décisions sont prises d’en haut et présentées voire imposées à ceux d’en bas, que ce soit au niveau d’une nation ou dans une entreprise, la réaction est vive et démobilisatrice.
Pour restaurer la confiance et la motivation, les directions d’entreprises
auraient tout intérêt à restaurer la démocratie au sein des équipes.
En créant des espaces d’échanges et de débats sur le travail, l’organisation du travail, les missions, les projets, les institutions et les entreprises auraient tout à y gagner et les bénéfices humains, à moyen et long terme, peuvent être considérables :
- moins d’absentéisme,
- plus de motivation et d’envie,
- plus de créativité,
- plus d’énergie positive.
Donc plus de bénéfices économiques !
Nous ne devons pas avoir peur des collectifs ni de la controverse inévitable. Elle fait partie intégrante de l’être humain.
Faut-il à tout prix être d’accord pour pouvoir se parler ?
Chaque point de vue singulier éclaire et enrichit le point de vue des autres.
Alors restaurons les collectifs de travail, vite !
Delphine Monot-Kuehn, co-fondatrice de De Vive Voix Formations